"You can hit me if you want, I deserve it."

L'amitié double les joies et réduit de moitié les peines - Francis Bacon

Le jeune homme était assis devant son écran d'ordinateur, il tapait frénétiquement depuis quelques heures déjà. Il avait à peine dormi, essayant de terminer à temps pour sa nouvelle date limite. Son éditeur n'avait pas trop apprécié sa dernière tentative de suicide, lui non plus, elle avait retardé la date de publication de son roman, qui était déjà très attendu! Cela dit, il prenait tout de même son auteur chéri avec quelques pincettes, se disant qu'il pourrait trouver une manière d'utiliser l'incident dans le marketing du prochain livre. Plusieurs tasses jonchaient autour de lui, certaines à moitié pleines, d'autres à moitié vides, d'autres complètement vides... Il n'y avait cependant pas de traces d'assiettes ou de bols ni rien qui aurait pu laissé croire qu'il avait manger. La raison en était fort simple : il n'avait fait que boire cafés et thés. Prendre le temps de se faire à manger aurait été trop laborieux et le temps était, de toutes façons, quelque chose qui commençait à manquer à l'écrivain. Il s'était permis de sortir, il y avait de cela 3 jours, quelques heures pour aller voir Mae-Ri, mais c'était tout...

Sa tentative de suicide avait été admise publiquement, donc son retour à la vie normale avait été souligné par son retour sur les réseaux sociaux. Ce n'était pas grand-chose, mais Sang Min essayait ainsi de... il ne savait pas trop, lui-même. Il se disait que ça rassurait les fans qui l'avaient noyé sous les commentaires... Mais il n'en était pas certain. Son éditeur lui avait demandé de redevenir actif, de toutes manières, pour montrer que le livre allait reprendre, malgré tout. L'amnésique n'avait pas trop osé recontacter ses proches, il avait trop peur de leurs réactions, même s'il savait qu'il les méritait... Sang Min se sentait honteux et coupable d'avoir survécu, vis-à-vis eux. Bien sûr, il ne l'avait pas admis aux gens de l'hôpital, il n'avait pas envie d'y être enfermé toute sa vie! Surtout que cette dernière refusait inlassablement de se terminer. Won Ho lui avait écrit pour l'inviter à venir à une petite soirée, prochainement, l'amnésique n'avait pas osé lui répondre, ne pensant pas mériter sa patience et sa gentillesse à lui non plus. Une des personnes qu'il craignait le plus de revoir était Bon Guk. L'asiatique se doutait qu'il ne l'avait pas bien pris et ne passerait pas aussi facilement l'éponge que les deux autres. Mae-Ri pouvait le comprendre, étant amnésique, elle aussi, elle avait une idée de ce qu'il traversait. Won Ho l'avait connu via l'organisme qui s'était occupé de lui, depuis l'hôpital, mais il n'avait pas le même genre de relations non plus. C'était un bon ami, mais pas son meilleur ami, il vivait moins ses tentatives de suicide comme des trahisons, pour sa part.

Sang Min pouvait comprendre, cela dit. Si Bon Guk lui faisait le coup un jour... l'auteur ne le prendrait pas du tout, il lui crierait dessus, qu'il soit inconscient ou pas, et lui dirait qu'il n'a pas le droit de l'abandonner comme ça. Pourtant, il sait que son ami n'a pas eu une vie très facile non plus, lorsqu'il l'écoute, Sang Min se dit – très rarement – que l'ignorance est effectivement quelque chose qui peut protéger. Seulement, Guk semble plus fort que l'artiste, plus positif aussi, plus adapté à la vie. Il suffit de le voir danser pour comprendre ces choses, ses mouvements sont si fluides, si harmonieux... Une véritable aura se dégage du danseur, une aura qui explose toute sa force et sa détermination au visage du spectateur, le laissant tout simplement en admiration, sans voix. L'aura que les gens associent à l'auteur est plutôt froide... sinon glaciale. Les gens le décrivent généralement comme intimidant et n'ose guère trop l'approcher. Pourtant, il se montre gentil avec ses fans, poli avec les inconnus... Seulement, un garde minutieusement une distance entre lui et le monde. Cette distance semble faire peur, mais c'est pour protéger les gens... Sinon, ils deviennent prisonniers de l'auteur comme ses pauvres proches. Prisonniers d'une relation empoisonnée avec une personne qui est en admiration devant leur force, leur vitalité, mais qui ne peut rien leur rendre de tel en retour... sinon de la colère et des larmes, parce qu'il a encore tenté de les quitter pour l'autre monde.

En ne contactant pas son meilleur ami, Sang Min pensait le libérer. Si Bon Guk ne revenait pas vers lui, il ne souffrirait plus des douleurs de l'amnésique, il deviendrait une étoile si brillante qu'il les aveuglerait tous avec son talent et serait heureux... Un long soupir s'échappa des lèvres sèches de l'auteur, il baissa les yeux sur la petite horloge au coin de son ordinateur. Une autre heure s'était écoulée. Il avait mal au derrière, mal au dos, des fourmis dans les jambes... et son dernier café était froid. Il avait mal aux yeux aussi, à force de fixer ainsi son écran. L'asiatique passa sa main sur son visage, couvrant ses yeux quelques secondes, puis se pinça l'arrête du nez, avant de se relever comme si c'était la chose la plus difficile du monde. Le dessous de ses cuisses presque nues, puisqu'il ne portait qu'un grand boxer noir à motif de Pac-Man et une camisole légèrement ample noire comme vêtements pour travailler à la maison, avaient maintenant les plis de sa chaise d'imprimer dessus. Il passa mollement sa main sur sa peau, essayant d'en effacer les rougeurs en vain, puis prit plutôt trois tasses par mains, glissant ses doigts dans les anses de celles-ci. À vrai dire, s'il avait eu le choix, Sang Min les aurait laissées là... mais toutes ses tasses étaient sales, à présent. Il devait donc en mettre quelques-unes au lave-vaisselle s'il voulait d'autres cafés. Il ouvrit la porte de son bureau avec le bout du pied, puis se traîna jusqu'à l'étage inférieure, allant dans la grande cuisine. À peine les tasses déposées sur le comptoir, il sursauta en entendant un bruit derrière lui et se retourna. Le cœur menaçant de sortir de sa cage thoracique pour aller faire une balade, à cause de la peur créée en deux secondes, il avait la main sur le torse alors que son regard surpris et effrayé se posait pourtant sur une silhouette connue.

-« Bon Guk? Qu'est-ce que tu fais là? » demanda-t-il, encore sous la surprise.

Sa présence ne le dérangeait pas, elle était tout simplement inattendue. L'auteur passa sa main dans ses cheveux, puis regarda autour d'eux. Son appartement était dans un sale état... Cela dit, son ami y avait l'habitude depuis le temps. Sang Min avait encore maigri, puisqu'il n'aimait pas la nourriture de l'hôpital et ne pensait pas trop à manger avec son livre qu'il devait terminer. Le regard honteux et coupable se reposa sur le danseur, cherchant visiblement comment l'aborder. Son ami avait l'air mieux que lui et l'amnésique en était soulagé.

-« Tu veux quelque chose à boire...? » murmura-t-il finalement, lui indiquant les tasses qu'il allait mettre dans la machine.

L'asiatique en profita d'ailleurs pour se dérober à son regard, lui tournant le dos pour aller prendre deux tasses et les laver. Bon Guk n'était pas vraiment venu le voir à l'hôpital, Sang Min en avait ressenti une lourde solitude, due à son absence, mais il s'était dit qu'il était occupé... qu'il était mieux pour le Coréen qu'il ne l'évite... Puis, après sa sortie, il ne l'avait pas vu non plus... pas eu de messages, pas d'appels... rien... Il ne savait pas s'il était soulagé et heureux de le revoir ou si la culpabilité et la honte étaient maîtresses. Sa gorge se resserrait douloureusement, alors qu'il tentait de rester calme et... normal.

-« Tu vas bien? Tu as de nouveaux projets de danse qui te tiennent occupé? » demanda-t-il d'une fine voix qui s'égrenait, ici et là, alors qu'il tentait de faire comme si de rien n'était.

"You can hit me if you want, I deserve it"

L'amitié double les joies et réduit de moitié les peines. - Francis Bacon

Sang Min ne savait pas comment réagir à la présence de son ami. Une part de lui était ravi, de manière indescriptible, de le revoir. Même si l'asiatique l'avait évité et ne l'avait pas contacté, Bon Guk était probablement la personne la plus importante dans sa vie, en ce moment. C'était de lui dont il se sentait le plus proche, à qui il était le plus à l'aise pour parler. Il pouvait parler à Mae-Ri aussi, elle le lui avait d'ailleurs rappeler, mais c'était différent. L'amnésique avait toujours une petite réserve avec elle, il la protégeait toujours un peu plus de sa réalité. Avec son meilleur ami, Sang Min ne mettait pas de filtres, il lui disait tout et n'importe quoi... même si ce n'était pas toujours beau, même si ce n'était pas toujours heureux. Il avait une confiance aveugle en lui, va savoir pourquoi ce Coréen plutôt qu'un autre. Depuis leur première rencontre, il s'était senti étonnamment à l'aise avec lui. Depuis leur première rencontre, Bon Guk avait été patient et gentil avec lui, il l'avait aidé à retrouver le bon chemin pour rentrer à un endroit où il se sentait bien...

Mais cette joie était aussi douloureuse et venait violemment cajoler son cœur, lui rappelant qu'il était bien égoïste de faire vivre toutes ces choses à celui qu'il disait considérer comme son meilleur ami. Le voir lui rappelait combien il s'était senti seul dans cette hôpital froide qui lui était pourtant malheureusement familière. Il n'avait pas eu beaucoup de visiteurs, mais il n'avait pas eu nécessairement eu envie de voir les quatre personnes qui étaient venu le voir non plus... Le voir venait aussi lui ramener à la figure que l'amnésique n'était pas un bon ami, il avait essayé de l'abandonner, de le quitter pour un autre monde duquel il aurait pu veiller sur lui... dans une relation à sens unique. Sang Min pensait cependant que sa disparition serait bénéfique pour Bon Guk. Il était donc horrible de continuer à l'accepter, lorsqu'il revenait vers lui, comme ce soir...  L'amnésique pensait qu'il devrait violemment le repousser, lui crier des bêtises, lui dire n'importe quoi... lui mentir... pour le faire partir et faire qu'il ne le déteste, mais il n'y arrivait pas. Chaque fois qu'il essayait d'ouvrir la bouche pour le faire, les mots le boudaient et ses yeux s'engorgeaient de larmes.

Sang Min lui tournait le dos, ses épaules commencèrent à trembler très faiblement, alors qu'il tentait de cacher les sanglots qu'il étouffait comme il le pouvait. Il posa les tasses, alors que l'eau chaude s'écoulait, suivant son court jusqu'au drain, passant sous les doigts repliés de l'asiatique qui s'appuyait sur le fond du lavabo, entre les dites tasses. Son regard suivait le cours de l'eau, se perdant dans le drain. Après tout, ses yeux le menaçaient de laisser ses intenses sentiments s'évacuer sous forme de larmes, eux aussi. Pourquoi était-il revenu vers lui? N'en avait-il pas marre de toujours souffrir par sa faute? N'y avait-il pas de limites à ce qu'il pouvait encaisser à cause de l'amnésique? La culpabilité rongeait son âme jusqu'à son essence même, Sang Min se demandait si elle n'était pas carrément devenue son âme, à ce point. Il la sentait dans ses veines, à chaque inspiration, elle venait prendre plus de place au creux de son estomac. Les larmes venaient lui piquer les yeux, roulant, bouillantes et vengeresse sur ses joues, comme si elles cherchaient à rendre une certaine justice à Bon Guk. Il releva la tête et se figea en sentant soudainement les bras de son ami autour de lui. Lentement, très lentement, l'auteur tourna la tête vers son ami, posant son regard aveuglé par le trop plein d'émotions sur le haut de sa tête.

Sang Min sentit son être tomber en morceaux, alors qu'une chaude sensation humide prenait doucement place sur son dos... sous la joue de son ami. Il le faisait encore pleurer, alors qu'il ne méritait rien de cette tristesse. Pour être triste pour quelqu'un, il faut avoir de l'affection ou de la compassion pour quelqu'un, hors, un être comme l'auteur ne devrait pas être l'objet de tels sentiments. Si c'était le cas, il n'aurait pas été abandonné par le monde comme il l'a été. Parfois, cela dit, il pensait qu'il y avait des circonstances particulières pour expliquer le tout... peut-être qu'il n'était pas un si mauvais être humain, dans ces moments... la vie était belle et douce. Dans ces moments, il pouvait être le plus agréable de tous, il avait l'air bien... et son entourage croyait qu'il s'en sortait finalement. Bon Guk l'avait souvent vu comme ça aussi, c'était peut-être à l'espoir qu'un jour, il atteigne ce sentiment et y reste, qu'il se rattachait ainsi.

-« P...pardon… »

-« Ne dis... pas... ça... » murmura-t-il d'une voix brisée.

Sa main hésitante et trempée quitta le lavabo et vint plutôt serrer celle de son ami.

-« Crie-moi dessus... Injure-moi... Frappe-moi... Dis-moi que j'aurais dû mourir cette fois, que tu aurais enfin été débarrassé de moi... de ne plus jamais t'appeler ou chercher à te revoir... De finalement te libérer... » ajouta-t-il, sa voix s'étranglant sur les sanglots épars qui le secouaient.

Il disait toutes ces choses, il les pensait sincèrement... tout en tenant fermement sa main. Ses gestes et ses mots se contredisaient. Il ne voulait absolument pas le perdre, le voir disparaître et l'abandonner... mais comme toujours, il était tourmenté entre ce qu'il voulait et ce qu'il croyait bon pour son ami. Sang Min avait voulu faire comme si de rien n'était, mais il n'y arrivait pas avec la réaction de Bon Guk. Tenant toujours sa main, l'amnésique se retourna avec toute la lenteur du monde et l'hésitation de celui-ci, pour faire face à son ami. L'eau continuait de couler abondamment dans le lavabo, puisque Sang Min n'avait jamais refermé le robinet. Les larmes ravageaient abondamment son visage, puisque Sang Min n'arriverait jamais à faire comme si de rien n'était à ce moment précis, dans ces circonstances. Le regard déchiré par son dilemme et sa culpabilité, les yeux rougis par le flot incessant, les lèvres tremblantes au rythme de ses épaules et ses mains, il essayait de le regarder dans les yeux, mais peinait... comment pouvait-il le regarder en face après tout ça?

-« Ne me demande... plus jamais... de te pardonner... alors... que tu n'as rien fait... » tenta-t-il de dire, après un long silence, d'une toute petite voix. « C'est moi... qui te demande pardon... » ajouta-t-il, en relevant finalement son regard brisé vers lui.

Ses lèvres se pincèrent, puis se tordirent, alors qu'il détournait le regard. Il se mordit les lèvres, essayant de calmer le flux de sanglots qui cherchait à l'étouffer.

-« Pardonne-moi d'avoir survécu... Si ça n'avait pas été le cas, tu aurais été libre! Tu n'aurais plus eu un ami boulet comme moi... qui n'arrive pas à te repousser, si tu reviens... alors que tu serais plus heureux, si je n'étais pas dans ta vie. » expliqua-t-il tristement, se mettant à pleurer encore plus et à serrer plus fort sa main dans la sienne.

Sang Min culpabilisait aussi à l'idée de ne pas l'avoir contacté depuis sa sortie de l'hôpital... il n'était pas fâché contre lui, loin de là... et il tentait ainsi, maladroitement, de le lui dire.