ft Tomoya & SeungJoo
Ce jour-là, SeungJoo n’avait pas dormi depuis environs quatre jours. Ses insomnies étaient plus présentes que jamais. Et pourtant il avait vécu bien des évènements douloureux, mais les derniers scandales qui lui tombaient dessus ne faisaient que renforcer son anxiété qui le rongeait jusqu’à la moelle. Son cerveau se comprimait de plus en plus dans sa boite crânienne au fil des jours, ses yeux devenaient secs et ses maux de têtes le rendaient impossible à aborder. Et pourtant, il venait s’entraîner diligemment, tous les jours, dans la salle de répétition. Mécaniquement, il ouvrait la porte des lieux, avançait jusqu’à la sono et mettait la même chanson depuis une semaine. Son état physique l’empêchait de progresser aussi vite qu’il le souhaiterait, mais il n’avait aucune solution, et il ne supportait pas de rester immobile alors que le sommeil ne le gagnait jamais. Et puis… Qui disait fixer le plafond en silence dans son lit, seul, disait aussi laisser ses pensées vagabonder dans des contrées qu’il souhaitait éviter.
Un masque noir sur le visage, il alla se placer devant l’immense miroir de la taille du mur lorsque la musique se mit à résonner dans la grande pièce vide de tout être sinon lui. Il fixa le sol durant quelques secondes puis, lorsque le premier temps fut marqué, son corps se mit à se mouvoir naturellement en rythme. Ses gestes étaient plus maladroits que d’ordinaire, mais son charisme n’en était qu’à peine impacté. Son regard déterminé dans le miroir venait contrebalancer sa fatigue et donnait l’illusion d’avoir non pas l’image brisée d’une idole victime de sa propre vie, mais plutôt d’un jeune homme talentueux, audacieux et énergique. Chacun de ses mouvements venait caresser les notes alors que son rythme cardiaque venait se fondre à celui de la musique. A nouveau, il ne lui semblait plus faire partie de ce monde, il se sentait flotter, il se sentait partir loin, dans un néant où seule la musique le portait et lui donnait la sensation d’être vivant. Un soupir de bien être perdu dans sa respiration saccadée.
Il trébucha et tomba sur le flanc, se rattrapant sur son avant-bras gauche pour ne pas se cogner la tête. Une grimace se dessina sur son visage dont les seules couleurs étaient amenées par la danse. Ses joues étaient légèrement rosies par l’entrainement, mais sa peau était particulièrement blanche, bien plus que d’ordinaire et pourtant, on ne pouvait pas dire qu’il était doté en temps normal d’une teinte translucide. Non, ce n’était pas sa carnation naturelle, mais celle de l’épuisement. Il se releva rapidement, ne prenant pas le temps de sentir une quelconque douleur à la hanche et reprit sur sa lancée alors que la mélodie continuait de noyer la pièce dans des basses profondes qui allaient chercher son souffle jusqu’au plus profond de son être. Il n’y avait qu’ainsi qu’il se sentait vivant, qu’ainsi qu’il souhaitait exister, qu’en musique, au cœur même de la musique, en ne faisant qu’un avec cet air qui caressait son visage, soulevait chacun de ses membres, et étranglait ses émotions pour les faire taire, les étouffer et les enterrer.
Une dernière note, grave, profonde, un dernier rythme pour l’accompagner dans un bonheur éphémère, et le silence s’engouffra à nouveau dans chaque cellule de son corps. Le dos légèrement penché vers l’arrière, la tête elle en avant, les bras tendus sur les côtés, doigt délicatement écartés, et le souffle court, il tint sa position quelques secondes avant que ses oreilles ne se mettent à siffler. Sa tête semblait possédée par les basses qui l’avaient précédemment fait voyager et alors qu’il rouvrait les yeux pour retourner dans la réalité, sa vue se troubla progressivement. Il leva une main, l’amena jusqu’à ses cheveux qu’il agrippa en plissant les paupières tandis qu’il serrait les dents sous la douleur qui l’accablait soudainement et le paralysait. Au fond de la salle, il entendit un bruit étouffé. Il devinait qu’il s’agissait d’une porte qui s’ouvrait, et les sons qui suivirent devaient être une personne lui adressant la parole, même si chaque mot sonnait sourd à ses oreilles. Ce n’était en tout cas pas de la musique, et il ne devait pas entendre des voix, pas vrai ? Il n’était pas fatigué à ce point, il n'était pas fou. Mais il était en revanche suffisamment épuisé pour que sa tête se mette à tourner dangereusement. Il perdait l’équilibre, il se mettait à tanguer. Il entendait encore quelques sons autour de lui qui semblaient plus forts que les précédents, mais il ne savait plus d’où ils provenaient. Il fit quelques pas à gauche, deux à droite comme s’il était tiré par une main invisible, avant de sombrer dans l’inconscience, son corps tombant sans aucune contrainte sur le sol boisé.
[…]
Il ne savait combien de temps s’était écoulé, il ne savait même où il se trouvait, mais quelques sons venaient perturber son inconscience. Son corps lui semblait si lourd, si tendu, si inconfortable…
«
Seungjoo… Aller… Arrivés… »
Ses cils papillonnèrent un instant. De quoi parlait cette voix ? Arrivés où ? Il sombra à nouveau.
[…]
Son épaule lui faisait mal. Pourquoi était-elle tirée ainsi sans ménagement ? Il grimaça un peu, ses paupières s’ouvrirent d’un millimètre avant d’être aveuglé par une lumière blanche qui vint lui brûler la rétine. Son corps ne répondait pas, mais il se sentait avancer, trainer un bras autour du cou d’une autre personne. L’odeur des lieux lui semblait familière, aseptisée. Ah… Encore l’hôpital ? Mais il n’avait pas besoin d’aller à l’hôpital. Sa tête retomba mollement, le menton appuyé contre son propre cou.
Son manager le trainait aussi rapidement qu’il le pouvait, et alla le poser sur une chaise dans une salle d’attente avant de se précipiter vers le comptoir de l’accueil. SeungJoo transpirait, son corps sec et trop mince, son visage pâli par la fatigue était brillant de sueur, ses lèvres cachées par son masque noir étaient blanches et sèches, meurtries et blessées de multiples coupures. Son visage en partie caché sous le manteau de son manager, posé sur ses cheveux pour ne pas attirer l’attention, il restait inconscient, les yeux et la respiration erratique.